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Brandt, la fin d’une ère ?
Après plus d'un siècle d'existence, la société française d'électroménager Brandt a été placée en liquidation judiciaire, condamnant 656 salariés à perdre leur emploi. Denis Bernier, délégué syndical central CFE-CGC, nous en dit plus.
C’est la plus grosse liquidation judiciaire de l’année. Placée en redressement judiciaire début octobre 2025, Brandt a vu sa liquidation judiciaire prononcée ce 11 décembre, marquant la fin de l’histoire d’un groupe centenaire. Au total, 656 salariés vont perdre leur emploi, répartis sur les sites de Vendôme (Loir-et-Cher) et d'Orléans (Loiret) ainsi que le service après-vente à Saint-Ouen-l'Aumône (Val-d'Oise) et le siège sur Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine).
Les difficultés du fabricant français de gros électroménager ne datent pas d’hier. Après différentes reprises par Thomson, Elfi, Moulinex et Elco, c’est le groupe algérien Cevital, en 2014, qui a repris le groupe, avec pour buts de moderniser l’activité et relancer la production. Mais, face à la crise persistante du secteur, impacté par le ralentissement du marché immobilier et malgré un chiffre d’affaires de 260 millions d’euros, l’entreprise n’a pas réussi à surmonter ses problèmes financiers et structurels.
Plusieurs dossiers d’éventuels repreneurs ont été déposés pendant cette période d’observation, dont un projet de Scop (Société coopérative et participative) soutenu par le groupe Revive, qui aurait permis de sauver près de 380 emplois sur les 656 menacés. Cependant, malgré un soutien financier de l’État à hauteur de 5 millions d’euros et l’implication des collectivités locales, le projet n’a pas été considéré comme suffisamment viable par le tribunal de commerce de Nanterre pour permettre sa mise en œuvre, faute d’engagement suffisant d’autres acteurs, notamment bancaires.
Denis Bernier, délégué syndical central CFE-CGC chez Brandt et chargé de projet industrialisation, revient sur les causes de cette liquidation judiciaire ainsi que ses conséquences.
Comment un fleuron centenaire de l'électroménager français en arrive-t-il à disparaître ?
Brandt a été la victime de multiples facteurs. En 2014, l'entreprise était dans une situation très compliquée. Après son rachat par Cevital, le plan de ce dernier était de maintenir la production de « cuisson » (fours, tables gaz et induction) en France, tout en développant le « lavage » (lave-linges, sèche-linges) et le « froid » (réfrigérateurs) en Algérie, notamment via une nouvelle usine de 5 000 personnes. Malheureusement, ils ont rencontré des difficultés à mettre en œuvre et à produire des appareils conformes au marché européen. Il a donc fallu sourcer ces produits de lavage en attendant la mise au point de ces produits en Algérie. Dès lors, la viabilité économique des sites français n'était pas au rendez-vous.
Mais, même en dehors de cet aspect, Brandt faisait face à des difficultés de secteur. La saturation du marché Français, qui représente 70 % de nos ventes, a été une cause majeure de nos difficultés, surtout post-Covid. Il fallait donc, pour augmenter notre chiffre d’affaires (CA), aller chercher des marchés à l’export. Mais la mise en place de nouveaux réseaux de distribution ne se fait pas simplement et nécessite des investissements importants. C’était la bonne stratégie, car nous avions commencé à observer une augmentation de nos ventes à l’export… mais c’était un peu trop tard.
Une autre difficulté rencontrée fut la baisse du pouvoir d'achat. En conséquence, les produits au-dessus de l'entrée de gamme se vendent beaucoup moins bien. La crise de l'immobilier, quant à elle, a entrainé une diminution du nombre de déménagements et d'acquisitions de logements, et donc, des achats d'appareils électroménagers. En outre, il faut se rendre à l'évidence : l'arrivée des produits asiatiques, notamment des marques de distributeurs (MDD) à bas coût, a complètement rebattu les cartes. Aujourd'hui, ce marché MDD représente 30 à 40 % du marché français. Partout en Europe, les constructeurs d'électroménager sont en difficulté.
L'arrivée des produits asiatiques, notamment des marques de distributeurs (MDD) à bas coût, a complètement rebattu les cartes. Aujourd'hui, ce marché MDD représente 30 à 40 % du marché français. Partout en Europe, les constructeurs d'électroménager sont en difficulté »
D'ailleurs, à cause de la baisse du pouvoir d'achat, les consommateurs ont plus tendance à réparer leurs appareils plutôt qu'à les remplacer, d'autant que les réparations sont subventionnées, ce qui porte un coup supplémentaire aux ventes. Enfin, Brandt n'a pas réussi à s'adapter aux nouvelles mentalités de consommation et méthodes de cuisson. Pour cuire leurs aliments, les nouvelles générations préfèrent acheter des Air fryer (friteuses sans huile) plutôt que des fours. La popularité de ce type de matériel a vraiment explosé, avec 2,6 millions de ventes en 2024.
Plusieurs projets de reprise ont été évoqués, dont une SCOP. Qu'est-ce qui a empêché leur aboutissement ?
En septembre, nous étions dans une impasse financière. Les caisses étaient vides, l’entreprise n’était plus solvable, et la mise en redressement judiciaire était inévitable : La fenêtre de présentation de projets de reprise fut donc très courte, de deux semaines seulement. À cause de ce laps de temps réduit, presque aucune offre sérieuse ne s'est présentée.
D’autant plus que beaucoup de concurrents qui auraient été potentiellement intéressés sont aussi dans une situation économique compliquée, ce qui limitait le nombre de repreneurs. Le seul projet réellement abouti était celui d'une reprise en SCOP, soutenu par les salariés, les syndicats, l'État (5 millions d'euros) et les collectivités territoriales, dont la région Centre-Val de Loire et Orléans Métropole (5 et 6 millions d'euros). Il était porté par le groupe Revive dirigé par Cédric Meston, qui prévoyait de conserver environ 380 postes sur 656, répartis sur les 3 sites. L'objectif était de maintenir l'activité pendant 1 an à 18 mois, le temps de pivoter les lignes de production sur d'autres types de produits plus rentables, comme des drones.
Malheureusement, le tribunal de commerce de Nanterre n'a pas validé le projet, jugé insuffisamment viable faute de financement solide. En effet, les propositions financières avaient une valeur politique et symbolique, mais aucun engagement ferme n'était formalisé juridiquement. Cette absence de garanties concrètes n'a pas permis de convaincre le tribunal.
Nous sommes actuellement en pleines réunions avec France Travail sur les mesures d'accompagnement des salariés »
Quelles mesures d’accompagnement avez-vous pu obtenir ?
Il y a un an, nous avions eu une rupture conventionnelle collective (RCC) avec un départ de 70 personnes. À l'époque, les syndicats, CFE-CGC en tête, avaient pu négocier une aide au déménagement, le financement de formations, une indemnité supra-légale...
Mais maintenant, nous sommes dans une situation de PSE avec liquidation et 0 euro de budget. Il n'y a rien à payer, si ce n'est les mesures légales et, en bonus, un potentiel accompagnement d'un million d'euros de la part de Cevital répartis entre les partants. Tout le reste se passera au niveau de France Travail.
Concrètement, que se passe-t-il maintenant pour vous et vos collègues ?
Nous sommes tous à l'arrêt, qu’il s’agisse des sites de production, du SAV ou des services support. Le jeudi 11 décembre, une AG a été organisée pour annoncer le verdict du tribunal et dire aux salariés de prendre leurs affaires personnelles et de partir. Les lettres de licenciement ne vont pas tarder à être envoyées avec une réception autour de Noël, ce qui n’est pas un beau cadeau ! En parallèle nous sommes actuellement en pleines réunions avec France Travail sur les mesures d'accompagnement des salariés.
Je suis chez Brandt depuis 1990, et nous avions déjà vécu deux redressements judiciaires. À chaque fois, nous avions survécu et étions allés de l'avant, donc, cette fois encore, nous y avons cru jusqu'au bout »
C'est une étape très difficile pour nous. Je suis chez Brandt depuis 1990, et nous avions déjà vécu deux redressements judiciaires. À chaque fois, nous avions survécu et étions allés de l'avant, donc, cette fois encore, nous y avons cru jusqu'au bout. La section CFE-CGC de Brandt n'est plus, mais nous restons adhérents. Je fais partie de la commission paritaire sur les Certificats de Qualification Paritaire de la Métallurgie (CQPM) et emploi formation, et je vais, au moins pour l'instant, me concentrer sur cette activité syndicale.
Concernant les sites eux-mêmes, ils sont anciens et les agglomérations ont été construites autour. Ils ont une certaine valeur foncière, et auront très certainement une nouvelle vie, industrielle ou immobilière.
Propos recueillis par François Tassain