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Publié le 29 - 09 - 2022

    Gouvernance, objectifs, salariés : quel avenir pour les EPIC ?

    Désireuse d’ouvrir le débat sur la place que l’État confère aux établissements publics à caractère industriel et commercial (AFD, AFPA, ONF…), au modèle hybride public-privé, la CFE-CGC a organisé un riche colloque le 27 septembre.

    « L’époque est-elle aux EPIC ? » : tel était l’intitulé du colloque organisé mardi 27 septembre au siège confédéral, le quatrième du genre (après la data, la chaîne de valeur et la biodiversité) dans le cadre du cycle de conférences « Restaurer la confiance » lancé par la CFE-CGC sur les grands enjeux sociaux-économiques contemporains. En présence d’un plateau d’experts et devant une assemblée fournie, avec de nombreux militants et salariés d’EPIC, les échanges (retransmis aussi en distanciel), animés par André Thomas, délégué national CFE-CGC et président de la CFE-CGC AFPA (Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes), ont mis en lumière les spécificités de ces établissements au modèle hybride, à la fois placés sous une gouvernance publique (nationale ou territoriale) et composés, à plus de 90 %, de salariés de droit privé.

    Comme l’a rappelé en préambule François Hommeril, président confédéral, « chacun connaît ou a entendu parler des EPIC », citant, entre autres, l’Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), l’Institut français du pétrole et des énergies nouvelles (IFPEN) ou l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (IFREMER). Une liste loin d’être exhaustive à laquelle on peut ajouter des acronymes bien identifiés par l’opinion publique comme la Régie autonome des transports parisiens (RATP), l’Office national des forêts (ONF), le Commissariat à l'énergie atomique (CEA), l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), l’Institut national de l'audiovisuel (INA) et la plupart des ports autonomes.

    UN OBJET JURIDIQUE DIFFICILEMENT IDENTIFIABLE

    « Le monde entier nous envie ces structures et leurs compétences mais personne ne sait ce que sont les EPIC, un objet juridique difficilement identifiable, à la fois public et privé, souligne François Hommeril. Alors que le partenariat public-privé est mis en avant dans les politiques gouvernementales, l’État ne semble pas savoir quoi en faire en termes organisationnels et d’orientations stratégiques. Au point que dans certains EPIC, la maltraitante institutionnelle est de mise, les salariés s’interrogeant sur le sens de leur action. La maltraitante peut aussi être financière et la CFE-CGC déplore que nombre d’EPIC n’ont toujours pas conclu de négociations salariales pour 2022. Il s’agit donc, ici, d’éclairer les débats sur la place que l’État doit conférer à ces structures, à leur gouvernance et à leurs salariés. »

    DES STATUTS BOULEVERSÉS PAR LES ÉVOLUTIONS JURIDIQUES ET POLITIQUES

    Dans une première table ronde consacrée à l’histoire des EPIC, Maxime Vergnault, responsable des marchés publics et conseiller juridique à l’Université Clermont Auvergne, auteur d’une note référente (« Les EPIC : bilan et perspectives ») publiée en 2021 par le think tank Le Millénaire, a cadré la problématique. « Cela fait 100 ans que les EPIC ont fait leur entrée dans l’ordre juridique français, avec tour à tour des succès et des remises en question. Alors que dans l’esprit originel du législateur, l’EPIC semblait la structure idéale, forte de la tutelle publique et de la souplesse de gestion du droit privé, il s’avère ces dernières années que, malmené par les évolutions juridiques, économiques et politiques, le statut d’EPIC est remis en cause, tout particulièrement dans les secteurs soumis à la concurrence. »


    L’expert explique ainsi combien l’Acte unique européen (1986) puis le traité de Maastricht (1993), consacrant le principe de la concurrence libre et non faussée au sein de l’Union européenne, ont constitué des bouleversements juridiques. « L’UE, sans jamais avoir remis formellement en question le statut des EPIC jusqu’à présent, a pu voir une distorsion de concurrence entre ces établissements qui ne peuvent pas faire faillite car l’État est derrière, et des sociétés commerciales françaises ou européennes qui, elles, ne bénéficient pas de ces garanties dont l’insaisissabilité des biens. » Conséquence de ces évolutions, plusieurs EPIC ont été transformés, depuis les années 90, en société anonyme (SA). Notamment la SNCF, France Telecom et EDF.

    « On peut également s’interroger sur la responsabilité et les choix politiques faits par les gouvernements français successifs depuis 30 ans, qui ont peut-être saisi ces opportunités pour aller plus en avant sur la libéralisation de certains secteurs et la transformation des statuts, par exemple La Poste, passée en 2010 d’Epic en SA », ajoute Maxime Vergnault. La création d’Epic n’est toutefois pas révolue ces dernières années, précise André Thomas, à l’image de la Banque publique d’investissement (BPI, fondée en 2012), de l’AFPA (transformée en Epic en 2017) ou encore de Solidéo, créée en 2017 pour les Jeux Olympiques de Paris 2024. « Alors que l’exécutif parle actuellement de renationaliser EDF à 100 % dans un contexte de forte problématique sur la souveraineté énergétique, il pourrait envisager de revenir au statut d’Epic, estime Maxime Vergnault. Tout est question de choix politique pour une entreprise si stratégique. »

    MISSIONS PUBLIQUES ET CONCURRENCE ÉCONOMIQUE

    Dans une seconde table ronde, André Thomas a donné la parole à deux universitaires travaillant sur les problématiques de droit relatif aux EPIC : Pierre Levallois, maître de conférences en droit public à l’Université de Lorraine et chercheur à l'IRENEE, et Louis de Fontenelle, maître de conférences en droit public au sein du Laboratoire Tree (Université de Pau et des Pays de l’Adour). « Avec des EPIC qui exercent des activités et des missions très différentes, la difficulté est de s’entendre sur le concept même de concurrence économique, au sens du droit européen de la concurrence et des contraintes induites, observe Pierre Levallois. En France, nous ne sommes pas toujours à l’aise avec le sujet. Or du strict point de vue du droit de la concurrence, toutes les activités sont économiques et concurrentielles, y compris l’Opéra de Paris ou le Château de Chambord. Il y a donc là, selon moi, une bataille juridique à mener sur la notion même d’établissement public marchand. »

    « Derrière les spécificités juridiques des EPIC, le droit doit aussi tenir compte de l’aspect social, des personnels et de la domanialité publique des biens, complète Louis de Fontenelle. La problématique initiale des EPIC, c’est le régime de droit privé qu’on leur applique (contrats, biens, salariés), tout en leur faisant bénéficier d’avantages créant des distorsions de concurrence par rapport à des opérateurs privés. Tout ceci peut contribuer à la perte de sens du corps social et des personnels des EPIC : est-ce que j’exerce une mission de service public, concurrentielle ou non ? Dans quelle mesure devons-nous dégager et comment, outre les subventions perçues, des ressources propres ? Comme cela a été dit, la question centrale est donc celle des choix politiques : quel rôle et quelle gouvernance pour les EPIC, quelle approche sur les grands secteurs stratégiques, faut-il conserver ce modèle hybride ou basculer vers une économie administrée, etc. Pour moi, c’est aux pouvoirs publics, et non au marché, de piloter l’avion. »

    GOUVERNANCE, ENGAGEMENT ET RECONNAISSANCE DES SALARIÉS

    Au-delà de ces orientations stratégiques autour des EPIC, comment replacer l’humain au cœur des préoccupations ? Ce fut l’objet de la dernière partie du colloque, avec d’abord le témoignage d’Estelle Sauvat, directrice générale du Groupe Alpha (cabinets d’expertise et de conseil RH) et ancienne Haut-commissaire à la Transformation des compétences où elle a déployé, en 2018, le plan national d’investissement dans les compétences (PIC, 15 milliards d’euros) et le compte personnel de formation (CPF). « Sur la gouvernance, que ce soit une entreprise privée, publique ou un EPIC, il faut toujours une colonne vertébrale très solide permettant, avec le corps social, de travailler sur les valeurs et la durabilité de l’entité. C’est à ces conditions que, rattachés à un objet commun, on va chercher la performance de chacun. Quand la gouvernance s’éloigne de ces considérations, cela pose des problèmes en termes d’engagement et de reconnaissance des salariés. Vient ensuite la question des moyens et des rémunérations. Quand la logique budgétaire percute la logique entrepreneuriale, cela génère une perte de sens. Dans le cas des EPIC, au modèle hybride, tout est devenu confus. Les problématiques de la gouvernance, du rôle de l’État et du partage de la valeur rendent la situation schizophrénique pour beaucoup de salariés travaillant dans ces structures. »


    Président d’un cabinet de conseil en stratégie sociale (Dominique Legrand) et ancien DRH de l’Opéra de Paris entre 2002 et 2014, Dominique Legrand a livré un témoignage instructif sur ce thème fondamental du partage de la valeur. « Placé sous la double tutelle du ministère de la Culture et de Bercy, l’Opéra de Paris est un EPIC au sein duquel nous étions parvenus, avec les syndicats, à mettre en place un dispositif d’intéressement, un plan d'épargne pour la retraite collectif (Perco) et toute une méthode de gestion de la masse salariale qu’on ne retrouvait pas forcément dans d’autres EPIC. On peut donc réussir à dégager des moyens mais il faut être très pugnace et bénéficier d’un alignement des planètes pour convaincre les tutelles de mettre en œuvre des schémas de rémunérations en adéquation avec l’activité de l’entreprise, quand bien même elle est subventionnée comme c’est le cas de l’Opéra de Paris. Tout le défi actuel et à venir réside donc dans la gouvernance et la fixation des objectifs assignés par l’État aux EPIC. »

    « Il est important de poser ainsi les termes du débat sur tous ces sujets relatifs au bien public, c’est le rôle d’une organisation syndicale »,
    a conclu André Thomas, réaffirmant l’engagement de la CFE-CGC et de l’ensemble de ses militants impliqués au quotidien dans les EPIC.

    Mathieu Bahuet

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