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Handicap et emploi : quelles solutions pour accompagner les parcours ?
12 millions de Français vivent avec un handicap, ce qui représente une part importante de la population. Mais beaucoup restent invisibles : handicap discret, difficultés de mobilité ou exclusion sociale contribuent à leur effacement du regard collectif. Cette population, pourtant, souhaite continuer de travailler. Mais comment gérer et assurer cette continuité, voire ce retour à l'emploi des personnes en situation de handicap, sachant que leur taux de chômage est de 12 % ?
Pour en parler, 6 experts invités par la CFE-CGC se sont réunis dans la prestigieuse salle Gaveau lors d’une table ronde animée par le journaliste Patrick Lonchampt : Caroline Dekerle (directrice générale de l'Agefiph), Christian Expert (médecin du travail et militant CFE-CGC), Christophe Legois (délégué national CFE-CGC au sein du secteur accessibilité et égalité des chances), Sylvie Ribreau (directrice d’établissement de l’ESAT Berthier), Ryadh Sallem (fondateur et délégué général de CAP SAAA, athlète paralympique) et Anne-Sophie Tuszynski (fondatrice de Cancer@Work).
L’ANNONCE DE LA MALADIE ET SES CONSÉQUENCES DANS L’ENTREPRISE
Les maladies graves comme le cancer ont été abordées. 15 % de la population française vit avec une maladie grave ou chronique, un taux qui atteindra 25 % dans le futur. « Chaque jour, 1 000 personnes apprennent qu’elles ont le cancer, et 400 d’entre elles ont un emploi », rappelle Anne-Sophie Tuszynski, elle-même touchée par la maladie en 2011. « J’avais choisi de le révéler à mes collègues et à mon employeur, ce que je ne regrette absolument pas, malgré le regard des autres. »
Certes, « dans le monde de l’entreprise, il n’y a aucune obligation légale à ce niveau-là », explique l’entrepreneuse. Cependant, « en parler permet de maintenir le lien avec les collègues, et c’est extrêmement important. Sans ce dernier, il sera très difficile pour la personne malade ou handicapée éloignée du travail d’y revenir. Elle s’expose à un risque de sortie de piste professionnelle. » Mettre les choses au clair permettrait donc de préparer le retour à la vie professionnelle « normale » en quelque sorte.
LE RÔLE CLÉ DE LA MÉDECINE DU TRAVAIL ET DE LA COORDINATION MÉDICALE
Une conclusion que partage Christian Expert. « Pour une personne atteinte de handicap ou de maladie, il est primordial de garder le contact avec l'entreprise, car l'organisation peut changer en quelques mois. » Selon lui, la médecine du travail joue un rôle clé dans ce maintien du contact malade-entreprise, en se coordonnant avec l’éventuel médecin traitant du salarié et le médecin-conseil de la CPAM pour repérer les signes de désinsertion professionnelle. Mais c’est à l’entreprise de gérer l’accueil et l’accompagnement de la personne afin d’assurer son retour à l’emploi. « Il faut s’assurer que ce dernier soit compatible avec la nature du handicap de l’employé », affirme-t-il.
LE RETOUR À L’EMPLOI : UN PARCOURS SEMÉ D’EMBÛCHES
Mais les entreprises sont-elles suffisamment bien armées en termes de formation et d’accueil des salariés en situation de handicap ? « Il y a très peu d’entreprises malveillantes, beaucoup sont souvent impuissantes », constate Caroline Dekerle. Pour la directrice générale de l'Agefiph, « il faut sortir de l’idée de l’accompagnement individuel. Pour être efficace, l’entreprise doit créer des plans d’actions structurés avec une véritable politique d’accompagnement générale ».
On pense à l'adaptation des postes de travail, la formation des manageurs, la mise en place d'outils et de protocoles d'accueil dédiés, la nomination d'un référent handicap, des partenariats avec des acteurs spécialisés, des audits d'accessibilité des locaux, la facilitation du temps partiel thérapeutique… Toutefois, alerte Caroline Dekerle, « le chef d’entreprise et les DRH ne sont pas les seuls à convaincre. Il faut aussi sensibiliser les salariés, lever les préjugés, leur faire comprendre qu’un handicap ne rend pas un collègue moins intelligent ou compétent. Car c’est avec eux que l’employé interagira le plus ! »
Christophe Legois, délégué national CFE-CGC, a d’ailleurs expliqué l’importance de ces aménagements : « Ils participent à la lutte contre l’invisibilisation et la mise de côté des travailleurs handicapés, qui veulent maintenir le lien social car il leur permet de conserver leur dignité. » Il rappelle que, pour aider les entreprises en difficulté, la CFE-CGC a publié un guide pratique sur le handicap au travail sorti à l’occasion du colloque. « Il présente ce qui doit être fait lors de la phase de retour des salariés, les formations essentielles à suivre et le développement de l’inclusion. Notre but était de faire un guide universel dont tous les acteurs peuvent s’emparer. »
LES ENTREPRISES ENTRE BONNE VOLONTÉ ET PEUR DE MAL FAIRE
« Mais pourquoi ça ne bouge pas ? Manque-t-il quelque chose de radical pour faire bouger l’état d’esprit des entreprises ou est-ce une question de patience ? » demandait Patrick Longchamps à Sylvie Ribreau. « Car l'inclusion réelle et non théorique reste la clé pour faire évoluer les mentalités et construire un monde du travail véritablement accessible à tous. Souvent, les personnes handicapées restent exclues des discussions qui les concernent directement. Elles se battent contre les préjugés et les a priori de productivité et de performance. »
Ryadh Sallem, handicapé lui-même, a réagi sur l’évolution des perceptions de la société. « Il y a de bonnes intentions. Cependant, toutes les lois sur le handicap sont dites "en faveur des gens handicapés". Mais les traiter comme monsieur et madame tout le monde, ce n’est pas une faveur ! Avant, le handicap faisait peur. Aujourd’hui, la peur a changé. Désormais, c’est la peur de mal faire les choses. »
TRAITER LE HANDICAP EN AMONT ?
Au-delà de l'accompagnement, la question de la prévention est un autre enjeu majeur. Christian Expert le souligne : « Si on améliore les conditions de travail et d'accès des salariés en situation de handicap, tout le monde en profite. » Caroline Dekerle insiste sur un point essentiel : « La prévention pour éviter de basculer dans le handicap est tout aussi importante que l'accompagnement. »
Depuis août 2021, les visites médicales de mi-carrière permettent justement de détecter en amont les situations à risque. Anne-Sophie Tuszynski cite notamment l'exemple d'une patiente ayant subi une mastectomie, pour qui l’entreprise avait adapté la chaîne de production. Résultat, une réduction de 9 % de l'absentéisme de courte durée. Preuve que ces investissements bénéficient aussi à l'entreprise.
Mais pour que cette approche prévention → détection → adaptation soit efficace, elle doit être systématique. « Si l’on est dans l’anticipation, on sera capable de gérer les situations de handicap en amont », affirme Caroline Dekerle. « Avec l’âge, les conditions de travail, les maladies, nous sommes tous des handicapés en sursis », rappelle Ryadh Sallem. Car comme tout travailleur valide d'aujourd'hui est un travailleur handicapé potentiel de demain, chacun bénéficiera un jour des initiatives mises en place aujourd'hui.
LE RÔLE DU DIALOGUE SOCIAL ET DES SYNDICATS
Pour Anne-Sophie Tuszynski, la CFE-CGC a justement un rôle crucial à jouer pour passer « de situations gérées au cas par cas à une logique globale », en inscrivant la question de la santé des travailleurs dans le dialogue social. Christophe Legois abonde dans ce sens : « Le handicap est un élément de notre parcours professionnel, il ne l’efface pas. » Pour lui, l'anticipation et la prévention passeront par un dialogue social renforcé avec les représentants syndicaux. À cet effet, l'objectif de la CFE-CGC est clair : « Nous voulons que chaque élu soit formé et devienne acteur de l'inclusion. »
QUELS LEVIERS À ACTIONNER ?
Pour Christophe Legois, le dialogue social reste prioritaire : « Il faut porter un message porté par les élus, qui concerne tous les salariés. » Christian Expert y ajoute un axe, celui de la formation : « Il faut retravailler l'information et la formation des médecins traitants et spécialistes, perdus dans le monde compliqué de la réinsertion professionnelle. » Un constat que confirme Caroline Dekerle : « Nous allons renforcer nos liens avec les services de santé au travail. On s'aperçoit qu'ils n'ont pas une bonne connaissance de tout ce qui existe comme dispositifs. » Pour Sylvie Ribreau, l'accompagnement, souvent réservé aux grandes entreprises, doit aussi s'étendre aux TPE.
Anne-Sophie Tuszynski encourage chacun à rejoindre des associations de lutte contre le handicap et les maladies graves, ces causes ne pouvant avancer, selon elle, que par une action collective. « Il faut oser. Le renoncement n'est pas un chemin », conclut Ryadh Sallem. Car, comme indiquait en début de colloque Christophe Roth, secrétaire national CFE-CGC à l’accessibilité et à l’égalité des chances, « une société inclusive n’est pas une société généreuse, c’est une société juste ».
Le Guide handicap CFE-CGC
Rédigé par la CFE-CGC en partenariat avec l'Agefiph, le guide « Handicap au travail : comment bien accueillir une personne en situation de handicap ? » est conçu comme un support pratique et s’adresse à toutes celles et ceux - élus syndicaux, manageurs, services RH, collègues - qui souhaitent agir pour un accueil digne, respectueux et efficace.
Le guide aborde notamment les thématiques du handicap au travail, préparer l'arrivée ou le retour d'un collaborateur, la sensibilisation pour favoriser l'inclusion et les outils de formation.