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Publié le 29 - 07 - 2019

    « La CFE-CGC déplore une dérive des missions d’Action Logement »

    Valse de dirigeants, programmes d’investissement contestés… Action Logement, le financeur du logement social en France, vit une période agitée. Décryptage avec Diego Alarçon, délégué national CFE-CGC et administrateur d’Action Logement Services.

    La CFE-CGC a récemment publié deux communiqués sur la situation actuelle chez Action Logement. Que se passe-t-il ?
    Nous avons, en effet, réagi à des épisodes qui constituent des menaces pour le logement social en France et le logement des salariés de classe intermédiaire. Action Logement est agité par des problèmes de gouvernance qui perturbent son action, alors que des chantiers de réorganisation sont en cours et qu’un gros programme d’investissement, de 9 milliards d’euros sur trois ans, vient d’être lancé. Nous avons voulu rappeler des règles de bon sens concernant le fonctionnement de cette entité, et également pointer du doigt une dérive de ses missions qui s’opère au détriment des classes moyennes. Un air malheureusement déjà bien connu dans d’autres domaines.

    Pouvez-vous nous rappeler quelles sont les missions d’Action Logement ?
    Action Logement, c’est un budget de 3,1 milliards d’euros en 2018. La ressource vient pour 1,84 milliard des cotisations obligatoires des entreprises de plus de 20 salariés et, pour le reste, des retours de prêts consentis avec cette collecte aux salariés et aux organismes de logements sociaux. Les fonds servent à financer pour moitié le logement social, pour un quart la rénovation urbaine (93 % du budget de l’Agence nationale de rénovation urbaine) et pour un dernier quart les prêts, aides et services aux salariés tels que les prêts d'accession sociale (PAS), les prêts travaux, les aides à la mobilité. Soit plus de 550 000 personnes aidées en 2018.

    Comment tout cela est-il organisé ?
    Si l’on fait un peu d’histoire, il faut remonter à la création du 1 % logement en 1953, c’est-à-dire un prélèvement sur la masse salariale avec fléchage vers le logement des salariés. A cette époque, on parlait de « participation des employeurs à l’effort de reconstruction ». Au fil des années, le nombre d’organismes collecteurs a proliféré sur le territoire jusqu’à atteindre 120 en 2009. Pour éviter une concurrence exacerbée entre eux, les partenaires sociaux en ont ramené le nombre à une vingtaine puis à un seul en 2017, ce qui a donné lieu à la création d’Action Logement. Cette nouvelle structure est elle-même divisée en trois entités :
    — Action logement Groupe (ALG), l’organisme de tête qui assure la représentation politique du mouvement, négocie avec les pouvoirs publics, fixe les objectifs et la feuille de route ;
    — Action logement Services (ALS), qui est, si l’on peut dire, l’entité bancaire, collectrice et distributrice de fonds par le biais d’une centaine d’agences sur le territoire ;
    — Action logement Immobilier (ALI), qui porte toutes les participations d’Action Logement dans les sociétés HLM, soit environ un million de logements sociaux sur 5 millions en France, le plus gros parc devant celui de la Caisse des dépôts.

    « Un jeu de chaise musicale contreproductif qui impacte la qualité de service d’Action Logement »

    Quelles sont les turbulences qui agitent l’actuelle gouvernance ?
    Le conseil d’administration d’Action Logement Groupe comprend 23 membres : 10  représentants patronaux, 10 des organisations de salariés et trois commissaires du gouvernement disposant d’un droit de veto. La CFE-CGC est représentée par un titulaire et un suppléant. Pour toute une série de raisons et de luttes d’influence en grande partie extérieures, on assiste depuis plus de deux ans à une valse des présidents et des directeurs généraux au sein des trois entités d’Action Logement. Ce jeu de chaises musicales est contreproductif. Il déstabilise les salariés à tous les niveaux et impacte la qualité de service. Un nouveau directeur général (l’ancien DGA) vient d’être nommé à la direction générale par intérim jusqu’en septembre… Tout ce feuilleton serait comique s’il n’y avait pas autant d’enjeux.

    Quels sont les principaux points stratégiques épineux ?
    Nous sommes d’abord confrontés à un chantier pharaonique de rapprochement des huit systèmes informatiques existants. Avec, dans le cas particulier d’ALS, le fait qu’on a sous-estimé la complexité de l’informatique pour un établissement qui gère des prêts aux particuliers et qui doit donc avoir une connaissance poussée des profils de risque. Ensuite, nous assistons à une fuite en avant marquée par un certain nombre d’annonces précipitées dans le désordre actuel. Je pense que nous aurions dû stabiliser la réforme de 2017 avant de lancer un « plan d’investissement volontaire » (PIV) de neuf milliards d’euros, dont 6,2 milliards à lever sur le marché privé. Que vont penser les agences de notation et les investisseurs institutionnels de la gouvernance d’Action Logement ?

    « En filigrane, se pose la question fondamentale de la capacité des Français à se loger correctement »

    En quoi consiste ce PIV et quelles sont vos réticences ?

    Je pense qu’en filigrane, se pose la question fondamentale de la capacité des Français à se loger correctement. Le PIV comprend d’excellentes mesures d’aide aux salariés qui vont être mises en place à la rentrée dans le domaine de la rénovation énergétique, du remplacement des sanitaires (baignoires par des douches pour nos aînés) ou de la mobilité. Mais il s’accompagne d’un rehaussement du plafond d’éligibilité pour les classes moyennes. A l’heure actuelle, 42 % de la collecte d’Action Logement provient des grands groupes, mais j’estime à 95 % le nombre de leurs salariés qui seront exclus des nouveaux produits et services du PIV. Celui-ci devrait conforter une offre de logement intermédiaire vers les classes moyennes qui connaissent des difficultés à se loger dans les grandes agglomérations. A notre avis, en excluant de fait les salariés de l’encadrement alors qu’ils sont les principaux contributeurs à son financement (assis sur la masse salariale), le mouvement s’éloigne peu à peu de ses principes.

    Propos recueillis par Gilles Lockhart