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Publié le 21 - 07 - 2023

    Le combat de la Papeterie de Condat en 10 points

    Encore un site industriel menacé en France ! Site centenaire, papeterie prestigieuse, 226 emplois menacés par un PSE. Avec un actionnaire qui cache son jeu. Mais la mobilisation syndicale, dont les équipes CFE-CGC, pourrait tout changer.

    1/ QUEL EST LE POINT DE DÉPART DES ÉVÉNEMENTS ?
    Lors du comité social et économique (CSE) ordinaire mensuel du 20 juin 2023, la direction de la Papeterie de Condat a indiqué aux représentants du personnel qu’elle lançait une réorganisation impliquant la fermeture de la ligne de production numéro 4. Celle-ci fabrique du papier couché utilisé pour l’impression-écriture, par exemple pour des dépliants publicitaires, encarts, affiches, couverture de magazines, bande-dessinée, plaquettes de communication... Le même jour, la direction remettait les 3 livres du PSE. « On a su alors que 226 postes seraient supprimés sur 432 salariés et que cela engendrerait à peu près 187 licenciements économiques », commente Florence Gracia-Gil, déléguée syndicale CFE-CGC et élue titulaire du collège cadre au CSE. Le rendez-vous suivant devait avoir lieu le 28 juin, mais le suicide d’un salarié du comité d’entreprise le jour de la R1 (ouverture du PSE) a entraîné son report au 11 juillet.

    2/ QUEL EST LE SITE INDUSTRIEL CONCERNÉ ?
    La Papeterie de Condat se situe sur la commune du Lardin-Saint-Lazare (1 700 habitants), située entre Brive et Périgueux, à côté du village de Condat-sur-Vézère (Dordogne). Centenaire, créée en 1907, elle s’étend sur une trentaine d’hectares et a commencé historiquement comme usine de fabrication d’extraits tannants pour l’industrie du cuir. La première machine à papier sur le site date de 1931. Fin 1991, l’entité salariait 1 200 personnes dont une cinquantaine à Paris. La machine à papier n° 4 date de 1962 mais elle a subi de nombreuses modifications et remplacements au cours du temps avec notamment, en 1999, l’installation d’une nouvelle coucheuse qui est encore aujourd’hui la plus moderne d’Europe en couchage 4 têtes.

    « Il s’agit de toute une ligne de production qui fait le papier support et le traite, après couchage et autres étapes, jusqu’à l’atelier de transformation qui découpe les bobines en feuilles », explique Philippe Magne, élu titulaire CFE-CGC au CSE pour le collège techniciens et agents de maitrise (TAM). C’est cette ligne qui est menacée de fermeture. La ligne 8, qui produit du papier de spécialité utilisé principalement en support d’étiquettes, n’est pas concernée à ce stade, du moins officiellement. Au fil des ans, la papeterie a appartenu à Rhône Poulenc, à Saint-Gobain et au groupe Smurfit avant d’être revendue à Lecta, son actionnaire actuel, en novembre 1998. Lecta, dont l’entité opérationnelle espagnole siège à Barcelone, contrôlée par des fonds de pension, compte aussi une usine à Garda (Italie) et cinq en Espagne sous le nom de Torraspapel.

    3/ QUELLES SONT LES CONSÉQUENCES SOCIALES PRÉVISIBLES ?
    En plus des licenciements, on estime que le PSE impacterait indirectement 2 500 emplois locaux allant des commerçants aux sous-traitants. « Nous avons des sous-traitants industriels qui sont en permanence sur le site, indique Florence Gracia-Gil : mécanique, déchargement de matières premières et de la pâte à papier, contrôle d’accès, nettoyage… La société SVL Pilote qui gère notre dépôt de papier emploie 70 personnes. Des transporteurs ne travaillent quasiment que pour le site. »

    4/ POURQUOI CETTE FERMETURE EST-ELLE INJUSTIFIÉE ?
    Sur le fond, Lecta justifie la fermeture de la ligne 4 par une baisse de la demande de papier couché en France et en Europe, ce que la CFE-CGC ne conteste pas. Mais elle estime que ces machines pourraient faire autre chose : papier à base de pâte recyclée pour l’administration, papier alimentaire pour des emballages, sacs en papier, gobelets en papier… « Nous avons développé de nouveaux produits sur le site mais cette production a été transférée sur d’autres sites du groupe », déplore Florence Gracia Gil. Les élus ont « lesentiment qu’on défavorise Condat au profit des autres sites, notamment parce que le système de prise de commandes est centralisé à Barcelone ».

    5/ POURQUOI CETTE FERMETURE EST-ELLE UN SCANDALE ?
    Lecta a bénéficié d’aides publiques. La région Nouvelle-Aquitaine lui a accordé un prêt de 19 millions d’euros à taux zéro en contrepartie de l’engagement de conserver ses deux lignes de production et 400 salariés sur place. Le Groupe a en outre bénéficié d’une subvention non remboursable de 14 millions d’euros de l’Agence pour la maîtrise de l’énergie (Ademe), sur un investissement de plus de 50 millions, pour la construction d’une chaudière CSR sur le site de Condat. Sans compter le fait que beaucoup de chômage partiel a été payé puisque l’usine est sous accord d’activité partielle de longue durée (APLD) depuis 2019.

    6/ OÙ EN EST LE PSE ?
    La R1 a eu lieu le 11 juillet (présentation des raisons économiques et financières et des mesures accompagnement). Normalement, la R2 doit avoir lieu le 1er août (présentation des postes supprimées), la R3 en septembre, la R4 début octobre et le PSE se terminer courant octobre. « La direction nous a dit qu’elle "neutralisait" le mois d’août usuellement consacré à la prise de congé puis a annoncé la fermeture totale du site du 11 au 28 août, indique Florence Gracia Gil, ce qui implique qu’en août on ne fera pas de réunions ni de consultations. Or nous sommes une entreprise de plus de 300 salariés, donc le délai légal de négociation d’un PSE est de 3 mois. En pratique, cela ne nous laisserait que 2 mois… Cependant, le calendrier est toujours en cours de négociation. »

    7/ COMMENT SE DÉROULE LE COMBAT SYNDICAL SUR PLACE ?
    Le CSE est tenu par FO, majoritaire chez les techniciens et agents de maîtrise. La CGT domine chez les ouvriers, la CFE-CGC chez les cadres. « On est ensemble, résume Florence Gracia-Gil, même si on peut se désolidariser de certaines actions. Mais par exemple, on a organisé ensemble une marche entre Condat et Le Lardin-Saint-Lazare qui a rassemblé environ 1 200 personnes le 12 juillet. Je voudrais associer à toutes ces démarches notre collègue Jean-François Sarlat, le plus ancien délégué syndical de la CFE-CGC chez Condat, qui ne peut être présent actuellement. »

    8/ QUELLE EST LA MOBILISATION NATIONALE DE LA CFE-CGC ?
    Outre les édiles et les parlementaires locaux qui se battant avec l’énergie du désespoir pour sauver leur territoire, les fédérations CFE-CGC ont pris le taureau par les cornes. Fibopa (bois papier), en la personne de son ancien président Yves Heidmann, et Enermine, en la personne de son secrétaire général Gilles Telal, travaillent sur le dossier en lien avec les militants et la Confédération. Ils ont aussi sollicité IndustriAll, l’association de syndicats européens, pour mettre la pression sur Lecta à l’étranger. Côté Confédération, Nicolas Blanc, secrétaire national à la Transition économique, et Marielle Mangeon, déléguée nationale, sont intervenus tous les deux lors d’une visioconférence organisée le 12 juillet avec des représentants de Bercy et du ministère de l’Industrie. Et ce dossier est sur le bureau de François Hommeril, président confédéral, chatouilleux dès qu’il s’agit de désindustrialisation et de délocalisation.

    9/ LA RÉUNION DE BERCY A-T-ELLE FAIT AVANCER LES CHOSES ?
    « Nous sommes déjà contents qu’elle ait eu lieu assez rapidement, se félicite Florence Gracia-Gil. Les deux ministères nous ont dit qu’ils allaient demander à Lecta pourquoi ils ont décidé de fermer un site en France plutôt qu’en Espagne ou en Italie, sachant que Condat représente la plus grosse capacité de production de papier couché du groupe soit 200 000 à 220 000 tonnes par an. Donc pourquoi répartir la production de papier couché dans trois usines plutôt que la maintenir à Condat ? »

    À l’issue de la réunion, la CFE-CGC a acté que les ministères s’engageaient à demander à Lecta quels étaient leurs engagements en termes d’activité et de pérennité du site. Les membres des cabinets ont demandé aux syndicats de leur faire remonter les difficultés, notamment de transparence et de collaboration de la part de la direction du site. Et ils ont promis de faire remonter l’affaire « plus haut » si les choses n’avançaient pas.

    10/ QUID DES ÉLUS LOCAUX ?
    Une réunion a eu lieu à Périgueux il y a quelques jours entre des représentants de Lecta et de la Papeterie Condat d’une part, le préfet et des élus locaux d’autre part. Réunion dont ces derniers seraient sortis très déçus des réponses données par Lecta. Le conseil régional a écrit au président et au directeur général de Lecta pour leur demander de les rencontrer. Il manque clairement de la transparence de la part de Lecta sur le sort qu’il compte donner au site à terme. Une production de nouveaux produits sur la ligne 4, en complément du papier couché, pourrait être envisagée, même sans investissements conséquents. Cela permettrait par exemple de répondre aux souhaits des pouvoirs publics de « sortir du tout plastique ».

    Les élus attendent que l’État français joigne les actes à la parole puisqu’il est question de réindustrialiser le pays :  maintenir le savoir-faire de Condat en serait une belle illustration.

    Gilles Lockhart