Le gouvernement a lancé début juin le comité en charge de l’évaluation du plan de relance de 100 milliards d’euros face à la crise. Quelle en est la composition ?
Prévu par la loi de finances 2021, il prend la suite du comité en charge du suivi de la mise en œuvre et de l'évaluation des mesures de soutien financier aux entreprises. Présidé par l'ancien membre du directoire de la Banque centrale européenne (BCE), Benoît Coeuré, et soutenu par France Stratégie et les ministères concernés, le comité rassemble des parlementaires, des experts et des représentants des partenaires sociaux.
Quels sont les objectifs fixés ?
Lors de la réunion d’installation du 4 juin, un programme pluriannuel des évaluations du plan de relance a été établi. Il prévoit, à court terme, un rapport pour octobre prochain. Les travaux visent à apprécier les impacts de la mise en œuvre de France Relance, tant au niveau macroéconomique qu’à travers l’évaluation spécifique de certains dispositifs : la mesure MaPrimeRenov' (volet écologique), le soutien aux investissements industriels (volet compétitivité) et le plan « 1 jeune, 1 solution » (volet cohésion).
Par la suite, le comité procédera, à l’horizon 2022/2024, à une évaluation détaillée des impacts économiques, sociaux et environnementaux du plan de relance, en évaluant les dispositifs les plus structurants : la rénovation des bâtiments publics et le bonus automobile (prime à la conversion) pour le volet écologique ; les impôts de production et les fonds propres des entreprises pour le volet compétitivité ; la prime à l'embauche, le dispositif d'activité partielle de longue durée (APLD), le programme d’investissement dans les compétences et l’aide à l’apprentissage pour le volet cohésion.
« Les salariés ne doivent pas être la variable d’ajustement »
Secrétaire nationale à l’Économie, Raphaëlle Bertholon représente la CFE-CGC au sein du comité chargé de l’évaluation du plan de relance face à la crise. Présentation des objectifs et des enjeux.
Notre première revendication porte sur la préservation des emplois et la nécessaire évaluation de l’efficacité de l’APLD »
Quelles sont les principales revendications de la CFE-CGC ?
Notre première revendication porte sur la préservation des emplois et la nécessaire évaluation de l’efficacité de l’APLD, un dispositif soutenu par la CFE-CGC, négocié sur le terrain et devant permettre le maintien des salariés et des compétences dans l’entreprise. Il s’agira aussi d’évaluer à plus long terme les éventuelles créations d’emplois générées par ce plan de relance financé par l’argent des contribuables. La conditionnalité des aides doit être objectivée, ainsi que l’efficacité des appels à projets. Autres priorité : développer une approche sectorielle, en particulier vis-à-vis de l’aéronautique et de l’automobile, les plus rudement touchés par la crise. Enfin, le plan vise à accompagner la transformation de notre économie. Ainsi, les enjeux liés à la transition numérique et au développement du numérique sur l’ensemble du territoire national doivent être analysés.
Les mesures de soutien aux entreprises ont-elles engendré des effets d’aubaine ?
Il faut rester vigilant. Je pense notamment à l’ordonnance instaurée l’an dernier permettant dorénavant à un chef d’entreprise de racheter sa propre entreprise en faillite. Cet assouplissement procédural visant à sauver l’emploi s’est, dans certains cas, transformé en dispositif de restructuration à moindre coût. Par ailleurs, les ordonnances Macron ont modifié le rapport de force en entreprise, en particulier l’accord de performance collective (APC), un dispositif prévoyant des baisses de rémunération ou des modifications du temps de travail. Les directions peuvent s’en saisir pour mettre la pression sur les salariés, à l’image de ce qui s’est passé chez Derichebourg. Raison pour laquelle la CFE-CGC milite en faveur d’une clause de retour à meilleure fortune. Les salariés ne doivent pas être la variable d’ajustement de la crise.
Êtes-vous confiante dans la capacité de rebond de l’économie française ?
Ce rebond reste fragile car fortement lié à l’évolution du contexte sanitaire. La sortie de crise est une phase délicate tant les problématiques spécifiques diffèrent selon les secteurs et les tailles d’entreprises. Afin de mieux accompagner les salariés de sociétés en difficulté, la CFE-CGC demande notamment que l’expert-comptable du comité social et économique (CSE), soumis au secret professionnel et qui accompagne les élus, dispose d’un droit d’accès aux informations confidentielles du dispositif « détection de signaux faibles » déployé par le gouvernement. Comme l’a montré le récent dossier Jacob Delafon, l’accès à l’information financière est un élément clé dans un dispositif de reprise par un éventuel repreneur.
L’autre cause défendue par la CFE-CGC est l’organisation de la transmission des compétences en entreprise et dans les territoires. C’est capital pour la pérennité des entreprises. Quand on voit Nokia qui licencie des ingénieurs spécialisés dans la 5G, obligés de se reconvertir alors que dans trois ans le marché en manquera, il faut absolument éviter un tel gâchis humain et un tel non-sens économique !
L’évitement fiscal des multinationales n’est rien d’autre qu’un "hold-up" silencieux sur la valeur ajoutée créée par les salariés »
Le G7 a annoncé un accord pour un impôt minimum mondial d’au moins 15 % pour les grandes entreprises, et une meilleure répartition des recettes fiscales provenant des multinationales. Qu’en pensez-vous ?
Si ce chiffre reste trop faible et que tout reste à faire pour le décliner efficacement, cet accord symbolique marque la prise de conscience, au plus haut niveau, des pratiques d’évitement fiscal et de transferts artificiels de bénéfices mis en place depuis trop longtemps par les multinationales. Tout ceci n’est rien d’autre qu’un « hold-up silencieux » sur la valeur ajoutée créée par les salariés et sur notre patrimoine économique. En la matière, on peut citer les remarquables actions militantes menées par Philippe Petitcolin (CFE-CGC General Electric) qui, grâce à son travail de mise en lumière de ces pratiques fiscales hyper complexes au sein de la multinationale américaine, a pu sauver plusieurs dizaines d’emplois sur la petite entité hydraulique de GE. La CFE-CGC travaille d’ailleurs activement au renforcement de la formation de ses militants sur ces opérations, pour mieux les déjouer.
Pour en revenir aux annonces du G7, elles constituent un signe positif : selon l'Observatoire européen de la fiscalité, ce taux de 15 % devrait ainsi générer 4,3 milliards de recettes fiscales supplémentaires annuelles en France. Notons que ces mêmes recettes seraient respectivement de 16 Mds€ et de 26 Mds€ si le taux appliqué était de 21 % et de 25 %... Il est quoi qu’il en soit grand temps d’agir, tant la forte pression exercée sur les classes moyennes découle directement de toutes ces pratiques fiscales qui finissent par mettre en péril nos grands équilibres économiques. Et donc notre système démocratique.
Propos recueillis par Mathieu Bahuet