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Publié le 29 - 09 - 2021

    Lidl : un drame humain qui pose de graves questions

    Après le suicide d’une responsable de magasin, la CFE-CGC remet en cause la brutalité du management. Et cherche des solutions pour l’avenir.

    LE DÉCÈS TRAGIQUE D’UNE PASSIONNÉE

    Le 6 septembre 2021, Catherine L., responsable du magasin Lidl de Lamballe dans les Côtes d'Armor, se donne la mort. Cette passionnée de son travail, « humaine et à l’écoute » selon des collègues qui ont témoigné depuis, comptait plus de 25 ans d’ancienneté dans l’enseigne de distribution. Mais elle était en arrêt de travail depuis juillet 2020, à la suite d’une altercation avec un supérieur. Le lundi 27 septembre, la CFE-CGC et la CGT lui ont rendu hommage devant les grilles de la direction régionale du groupe Lidl à Ploumagoar, près de Guingamp.

    COMPRENDRE L’ORGANISATION DE L’ENTREPRISE

    Lidl en France comprend 27 établissements, dont 25 directions régionales. Celle dont dépend le magasin de Lamballe, la DR 15, couvre les Côtes d’Armor, le Finistère et le Morbihan, soit 62 magasins et 1 600 salariés. Chaque directeur régional est relativement autonome pour gérer son entité. Au-dessus d’eux, il y a les co-gérants Vente qui supervisent chacun environ 6 DR. « Les hommes et les façons de faire ne sont pas les mêmes mais dans l’ensemble, ces deux niveaux de responsabilité se contrebalancent pour limiter des éventuelles dérives de management, explique Alain Haraczaj, délégué syndical central CFE-CGC de Lidl. Dans le cas de la DR 15, ajoute-t-il, « il y a peut-être eu accumulation de deux façons semblables de voir les choses. Celui qui supervisait la DR 15 ne voyait aucun inconvénient à ce que le directeur régional soit le vrai big boss du site et que les organisations syndicales n’aient pas leur mot à dire ».

    UN CONTEXTE MANAGÉRIAL DÉGRADÉ

    Selon Jean Marc Boivin, délégué syndical CFE-CGC à la DR 15, « l’arrivée d’un nouveau directeur régional, fin 2017, a dégradé le climat social. Le turn-over a augmenté de façon importante en 2018, passant de 11 % en 2017 à 22 % en 2018 selon un rapport Secafi ». Après le décès de Catherine L, la CFE-CGC et la CGT ont publié un communiqué commun, titré « Un drame prévisible ». S’ils l’ont fait, c’est parce que des signaux sociaux s’étaient dégradés. « Nous sommes majoritaires à tous les postes d’encadrement et de maitrise dans la DR 15, souligne Jean-Marc Boivin. Une volonté de faire le ménage parmi les anciens et de casser le côté syndical avait été constatée de la part de ce nouveau management. Il fallait travailler avec lui… ou bien être contre lui. »

    DES ÉLÉMENTS DE CHRONOLOGIE TROUBLANTS

    Ex-caissière ayant gravi les échelons, la mère de famille décédée rencontre le 9 juillet 2020 un problème avec un supérieur. Le 13 juillet, elle s’en ouvre à Jean-Marc Boivin, qui vient la voir et déclenche, aussitôt après ce rendez-vous, une première alerte sans ambiguïté : confrontation avec la direction régionale, prise de rendez-vous avec un médecin pour arrêt de travail, e-mail à l’inspection du travail. La CFE-CGC déclenche une enquête à l’échelon de la commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT), que la direction régionale refuse de valider en octobre 2020. Les résultats sont finalement validés, début 2021, par le comité social et économique (CSE) qui établit des constats de harcèlement étayés par plusieurs témoignages.

    LA JUSTICE APPELÉE À LA RESCOUSSE

    Début septembre 2020, le procureur de la République de Saint-Brieuc, alerté par des courriers de la CGT, diligente une enquête sur les conditions de travail dans la soixantaine de magasins et l’entrepôt de la DR 15. En février 2021, la plateforme logistique de Ploumagoar est perquisitionnée par les gendarmes et l'équipe encadrante placée en garde à vue dans le cadre d'une autre information judiciaire pour « harcèlement au travail ».

    SPÉCIFICITÉ RÉGIONALE OU SITUATION NATIONALE ?

    Le cas tragique de Lamballe est actuellement entre les mains des enquêteurs. La DRH du groupe s’abrite derrière le fait que tous les éléments du dossier (courrier laissé par la victime, témoignages…) ne sont pas portés à sa connaissance. Mais Lidl a déjà été mis en examen pour homicide involontaire et harcèlement après un autre suicide d'un salarié en 2015. Si le drame de la DR 15 n’a pu être évité, au moins des signaux d’alerte étaient-ils remontés via les syndicats, ce qui n’est peut-être pas le cas d’autres directions régionales où la présence des organisations syndicales est moins forte. Dans ce contexte, la CFE-CGC, avec Alain Haraczaj et son adjoint Laurent Peix, maintient le dialogue au niveau national avec la direction de Lidl.

    Gilles Lockhart