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Publié le 09 - 10 - 2023

    Risques psychosociaux : cadres et managers en première ligne

    Les études ne cessent de le confirmer : la santé mentale des managers et des cadres se dégrade. Les partenaires sociaux incitent les entreprises à prévenir, plutôt que guérir. Non sans difficulté. Pourtant, des solutions existent !

    Les enquêtes se suivent et se ressemblent. Toutes démontrent une dégradation de la santé mentale des cadres en général, et des managers en particulier. En septembre 2022, une publication de l’Association pour l’emploi des cadres (Apec) a établi que 25 % des cadres (sur 1 000 répondants) ont vu leur santé mentale se dégrader au cours des deux dernières années. Une situation pire encore pour les managers qui étaient 27 % à le dire. Toutes missions confondues, plus d’un cadre sur deux (55 %) confiait un sentiment de surcharge de travail, 54 % témoignait d’un épuisement professionnel et une même proportion reconnaissait ressentir un « stress intense ». Des chiffres toujours plus marqués dès lors que les cadres interrogés exercent des fonctions managériales. Ainsi étaient-ils 65 % à affirmer avoir la sensation d’une charge de travail insurmontable, contre 47 % des cadres non-managers. Près d’un répondant sur cinq (19 %) avait pris un arrêt maladie ou un congé en raison de cet épuisement professionnel.

    Six mois plus tard, le baromètre annuel publié en mars 2023 par le cabinet de conseil Empreinte Humaine, spécialiste de la prévention des risques psychosociaux (RPS), témoigne, lui aussi, de la montée des difficultés psychiques des salariés. Il établit que 44 % d’entre eux sont exposés à une détresse psychologique, soit 3 points de plus que lors de l’édition précédente du baromètre (juin 2022). Et les trois quarts de ces 2 000 répondants reconnaissent qu’une part au moins de ce mal-être vient de leur travail. Réalisé en plein débat sur l’allongement du temps de travail jusqu’à 64 ans induit par la réforme des retraites, ce sondage souligne que 7 personnes interrogées sur 10 redoutent de ne pas pouvoir tenir psychologiquement jusqu’à leur retraite. Plus que la volonté de travailler moins (20 % des répondants), ils aspirent surtout à le faire mieux (71 %).

    AUGMENTATION DE L’ABSENTÉISME ET DÉSENGAGEMENT
    Ce mal-être au travail pèse directement sur la vie des entreprises. D’abord sur l’attachement des salariés à celle qui les emploie : dans le baromètre d’Empreinte Humaine, 39 % disaient vouloir quitter leur employeur. Mais aussi en termes d’absentéisme. Ainsi, en juillet dernier, le cabinet de courtage Mercer établissait-il une augmentation des arrêts maladie de moyenne durée, selon lui en lien direct avec les troubles anxio-dépressifs.

    Anne-Michèle Chartier, déléguée nationale confédérale à la santé au travail, présidente du syndicat CFE-CGC Santé au travail et médecin du travail, confirme la montée des risques psychosociaux au travail. À ses yeux, la période du confinement a représenté un moment clé. Le travail à distance, pendant cette période et au-delà, de même qu’une forme de « désaffection du travail », accentuent le phénomène. Sans parler du manque de reconnaissance exprimé par les salariés, qui préexistait. La syndicaliste remarque aussi que les difficultés actuelles de recrutement dans certains secteurs en témoignent et aggravent la situation des salariés qui sont en poste : « Nous voyons poindre des difficultés à recruter y compris sur des postes qui auparavant n’étaient pas autant sous tension, particulièrement sur les fonctions de managers intermédiaires. »

    DES FACTEURS ET SYMPTÔMES MULTIPLES
    Au-delà des chiffres, la définition des risques psychosociaux est porteuse d’enseignements sur les modes opératoires des entreprises et les dysfonctionnements de certaines modalités de l’organisation du travail. Au cœur du dispositif de prévention en santé et sécurité au travail, l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS), un organisme paritaire géré par les partenaires sociaux, a listé les symptômes qui peuvent alerter sur la présence de RPS. À commencer par des troubles de la concentration, du sommeil, une fatigue. L’instance observe que le contexte de travail peut aggraver ces symptômes, à l’instar de la complexité grandissante des tâches professionnelles, de l’individualisation du travail, de l’exigence importante des clients…

    Outre les conditions de l’exercice des activités, l’organisation du travail peut elle aussi amplifier les risques, par exemple lorsque le partage des tâches manque de clarté, ou en cas de surcharge de travail. Et l’INRS souligne que ces facteurs de risque interagissent.

    Forcément, de telles problématiques doivent pouvoir trouver un débouché en matière de dialogue social. Même si, Anne-Michèle Chartier le regrette, « cela reste très souvent complexe et trop rare ». Ce que confirme Christophe Nguyen, président du cabinet Empreinte Humaine, qui estime qu’un tiers seulement des entreprises se saisit du sujet des risques psychosociaux, particulièrement les grandes, qui disposent d’équipes assez conséquentes pour travailler ce thème, en premier lieu au sein des sièges. Par ailleurs, « la suppression en entreprise des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), a représenté « un mauvais signal », rappelle Anne-Michèle Chartier.

    LA PRÉVENTION COLLECTIVE, UN IMPÉRATIF
    Comme toujours, mieux vaut prévenir que guérir. En matière de risques psychosociaux, l’INRS invite les acteurs à centrer la démarche sur une prévention collective, focalisée sur le travail et son organisation. Dans ce cadre, Christophe Nguyen recommande de déjà bien connaître les facteurs de RPS au sein de l’entreprise, pour s’en protéger. « Pour établir ce diagnostic, on peut par exemple proposer des questionnaires, réaliser des entretiens. » Il insiste : « Traiter la question des RPS, ce n’est pas seulement accompagner les personnes qui vont mal ! C’est aussi veiller à ce que celles qui se portent bien restent en bonne santé. » Surtout, il estime que le sujet de la prévention des RPS doit être « stratégique ». Sinon, prévient-il, les salariés risquent de se mettre en difficulté pour tenir les objectifs qu’on leur assigne.

    D’un point de vie pratique, l’INRS met à disposition, sur son site internet, des instruments pour faciliter le diagnostic des RPS au sein des entreprises : exemples de questionnaires, rappel des réglementations, brochures et outils en ligne, etc.

    Une fois mis en place, il convient d’évaluer régulièrement les dispositifs de prévention pour vérifier qu’ils sont efficaces. Cela suppose en particulier d’avoir défini des indicateurs comme le taux d’absentéisme, le nombre de démissions, les effets de la formation des managers… Les directions doivent aussi entendre les remontées des organisations syndicales, qui disposent d’antennes sur le terrain, et des représentants du personnel, indiquent de concert les experts interrogés.

    SYNDRÔME D’ÉPUISEMENT PROFESSIONNEL : TOUT SAVOIR AVEC LE MÉMO CFE-CGC
    Troubles de la concentration, du sommeil, irritabilité, nervosité, fatigue importante, palpitations, dépersonnalisation et perte du sentiment d’accomplissement personnel... Tous les salariés du secteur privé et les agents de la fonction publique peuvent être confrontés, un jour, au syndrome d'épuisement professionnel (SEP), aux effets potentiellement dévastateurs. En cause : une surcharge de travail dans le cadre d’une organisation non adaptée, un contexte de dégradation des rapports sociaux ou de conflits de valeurs, etc.

    Parce que cela n'arrive pas qu'aux autres, la CFE-CGC a édité un mémo pratique permettant de déceler les symptômes annonciateurs du burn-out - le mal du 21e siècle - afin de mieux l'identifier et de pouvoir le prévenir. Pédagogique, contenant de nombreuses informations pratiques et de conseils, cet outil permet d’aider à déceler les symptômes annonciateurs du burn-out, d'en comprendre les diverses étapes et de savoir comment le déclarer en accident du travail ou en maladie professionnelle (AT-MP).

    Sophie Massieu