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Publié le 17 - 06 - 2025

    La situation d’ArcelorMittal France vue par la CFE-CGC

    Les syndicats d’ArcelorMittal France ont été auditionnés par une commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur les plans de licenciement. Le point avec Xavier Le Coq, coordinateur syndical CFE-CGC du Groupe ArcelorMittal.

    Dans le cadre de la commission d’enquête sur les défaillances des pouvoirs publics face à la multiplication des plans de licenciements, vous avez été auditionné, au nom de la CFE-CGCsur les intentions du Groupe ArcelorMittal de se désengager en France et en Europe. Qu’avez-vous indiqué aux parlementaires ?  

    Il y a un risque, à plus ou moins long terme, d’un désengagement partiel du Groupe en Europe avec un recentrage sur les sites les plus productifs et disposant du meilleur carnet (ou de la capacité à reprendre ceux des autres sites plus fragiles). L’histoire montre que ce type d’approche en Europe, au profit des consommateurs finaux en termes de prix, conduit à une descente structurelle, par palier, des parts de marchés. Les volumes laissés aux concurrents permettent à ces deniers de financer tôt ou tard leur propre montée en gamme. Dans ce contexte, il faut aussi raisonner globalement : les sites en difficulté, car exposés à des marchés très « concurrentiels » (ex : ArcelorMittal Méditerranée), protègent de fait ceux du Nord d’importations encore plus massive.

    Que faire pour éviter ce risque de désengagement ?

    Pour la CFE-CGC, l’urgence est de rétablir rapidement une équité dans la compétition internationale. Il s’agit d’une part d’instaurer un mécanisme de quotas d’importations flottants en fonction de la demande réelle en Europe et de lutter de manière efficace contre le dumping. Par exemple, la Chine subventionne sa sidérurgie - comme d’autres filières -, ce qui lui permet de faire baisser les prix de vente, notamment au sein de l’Union européenne (UE). Il convient d’autre part d’accélérer la mise en œuvre du MACF (mécanisme d’ajustement carbone aux frontières) avec une traçabilité des filières d’approvisionnement, malgré les incertitudes sur l’efficacité globale d’un tel mécanisme.

    Nationaliser ArcelorMittal en France serait une très mauvaise idée ! »

    Face à la fragilité de la filière acier en Europe, ArcelorMittal donne-t-il des gages quant à sa volonté de demeurer un producteur européen ?

    La CFE-CGC constate que le Groupe continue d’investir massivement en Europe (fours électriques à Sestao et Gijón en Espagne, à Belval au Luxembourg…). La France n’est pas oubliée, malgré des résultats économiques « dans le rouge » ces dernières années. On peut citer la nouvelle unité de production d'aciers électriques à Mardyck, la ligne de galvanisation à Florange, un four poche à Fos-sur-Mer, l’accroissement de la capacité de l’usine de Saint-Chély-d’Apcher, la rénovation d’un haut-fourneau à Dunkerque, une nouvelle coulée continue verticale sur le site du Creusot, etc.

    Si le Groupe avait pour stratégie de quitter la France, il n’aurait très probablement pas recapitalisé la filiale ArcelorMittal Méditerranée de 425 millions d’euros depuis 2020, sans compter une nouvelle recapitalisation en cours de 170 M€. Le Groupe attend maintenant des réponses concrètes de la Commission européenne sur sa volonté de défendre la sidérurgie avant d’investir dans la décarbonation de ses procédés. Le Groupe a d’ailleurs confirmé son intention de construire un premier four électrique à Dunkerque (1,2 milliard d’euros). Le site de Fos-sur-Mer attend également la décision de construire un four électrique qui devrait à terme remplacer un haut-fourneau.

    La nationalisation d’ArcelorMittal en France est portée par plusieurs partis politiques pour préserver les emplois. Quelle est la position de la CFE-CGC ?

    Nationaliser ArcelorMittal en France est une très mauvaise idée ! Le Groupe est trop intégré pour qu’une nationalisation des seuls sites français soit pertinente ou efficace. En effet, la R&D, les brevets, la force de vente, les clients, les fonctions supports et les systèmes de gestion ne sont pas dans le scope opérationnel de la France. De plus, les autres sites du Groupe sont sous-capacitaires en Europe et le Groupe réorienterait ses commandes vers les sites hors de France.

    La CFE-CGC prône plutôt une prise de participation conjointe des États européens concernés par la production d’acier au sein d’ArcelorMittal (Allemagne, Belgique, Espagne, France), qui tiendrait compte du poids relatif de la production au sein d’ArcelorMittal en Europe. Cela permettrait des projets communs (ex : la décarbonation) et cohérents avec la vision à moyen terme de l’UE. Et plusieurs pays pourraient, ensemble, revendiquer un poste d’administrateur du Groupe, l’instance où sont prises les décisions stratégiques.

    Enfin, nationaliser les sites français d’ArcelorMittal ne rendrait pas la sidérurgie française rentable. Je le répète : ce qu’il faut, c’est agir vite à Bruxelles pour donner des perspectives positives à la production d’acier en Europe.

    La sidérurgie est un enjeu de souveraineté industrielle pour garantir la sécurité des approvisionnements en acier »

    Quelles autres analyses la CFE-CGC a-t-elle formulé devant la représentation nationale ?

    Pour la CFE-CGC, l’enjeu est certes français mais il est avant tout européen ! ArcelorMittal Europe demeure la zone avec la plus forte contribution en termes de production et de chiffre d’affaires (48 % du CA en 2024, mais seulement 22 % de l’EBIDTA). En revanche, où se trouve aujourd’hui le centre de gravité « culturel » du Groupe ? Quelles sont ses motivations à maintenir sa base industrielle telle qu’elle existe en Europe en investissant au Brésil ou en Inde ? Ces deux pays n’ont pas les mêmes contraintes de production qu’en Europe (notamment environnementales) et sont des marchés en pleine croissance, au contraire de l’Europe.

    Par ailleurs, outre son caractère cyclique, la sidérurgie est un secteur aux marges limitées et d’une très forte intensité capitalistique avec des investissements conçus pour des durées longues. Or le Groupe ArcelorMittal a dégradé la fiabilité de ses installations européennes (françaises en particulier) par une politique de stop and go et un sous-investissement chronique depuis la crise de 2009.

    Enfin, nous rappelons que la sidérurgie est une industrie stratégique dans laquelle tous les États du monde investissent. C’est un enjeu de souveraineté industrielle pour garantir la sécurité des approvisionnements en acier (armement, infrastructures énergétiques…).

    Comment défendre la sidérurgie française et ArcelorMittal en France ?

    Les pouvoirs publics doivent continuer de peser sur la Commission européenne afin qu’elle prenne très vite des mesures simples et efficaces, à savoir limiter les quotas d’importation d’acier ; simplifier le MACF pour protéger efficacement l’industrie sidérurgique européenne ; soutenir les investissements de décarbonation dans le cadre du plan acier annoncé en mars dernier ; rétablir rapidement une équité dans la compétition mondiale et faire en sorte que l’Europe dispose d’une énergie moins chère (gaz naturel et électricité).

    Propos recueillis par Mathieu Bahuet