Est-ce une page qui se tourne ou un livre qui se ferme pour les Papeteries de Condat ? Fondé en 1907, et ayant compté jusqu’à 1 200 employés au faîte de sa gloire, l’établissement, qui ne compte plus que 202 salariés, est aujourd’hui au plus bas. En cause : l’annonce par le groupe propriétaire espagnol Lecta de la - très probable - fermeture du site fin 2025, deux ans après un plan social qui avait entraîné le licenciement de 174 des 420 salariés de l’époque. Au total, 2 500 emplois de la région dépendant directement ou indirectement de l'activité de cette grande entreprise industrielle avaient été impactés.
À l'époque, ce plan social avait été justifié par la fermeture d’une ligne de production de papier couché deux faces en raison de la forte baisse du marché des papiers couchés, pour concentrer le site sur la production de glassine. La CFE-CGC s’était mobilisée aux côtés des autres syndicats (CGT et FO) pour alerter le gouvernement sur la situation critique de l'entreprise, hélas sans succès.
Plus de 25 millions d’aides publiques
Cette nouvelle annonce est d’autant plus incompréhensible pour les salariés que Lecta a bénéficié d’aides publiques massives, dont une subvention non remboursable de 14 millions d’euros de l’Agence de la transition écologique (Ademe) pour la construction d’une chaudière CSR ainsi que d’un prêt de 19 millions d’euros à taux zéro par la région Nouvelle-Aquitaine, en contrepartie de l’engagement de conserver ses deux lignes de production et 400 salariés sur place. Un prêt que l’entreprise avait cessé de rembourser depuis avril, avant de reprendre il y a quelques jours.
Pour Jean-François Sarlat, délégué syndical CFE-CGC et technicien services généraux à Condat, le problème de la société vient des capacités de glassine très importantes sur le marché, ainsi que des prix de vente insuffisamment rentables (chute de 1 800 à 1 100 euros la tonne ces dernières années) pour faire vivre la société et donc permettre le remboursement de sa dette. Selon lui, il faudrait pouvoir diversifier la production vers d'autres papiers spéciaux, mais cela nécessiterait d'avoir une recherche et développement en interne ainsi que les moyens financiers pour l'assurer, alors que le groupe se désengage progressivement de Condat.
Seule garantie obtenue jusque-là, le paiement des salaires jusqu’à la fin de l’année 2025. Une bien maigre consolation, d’autant que les nombreuses propositions des salariés tout comme des élus de la région sont restées lettre morte.
Un dialogue à sens unique
En effet, l’intersyndicale (CFE-CGC, CGT et FO) a proposé lors d’une réunion le 2 septembre la création d’une SCIC (Société Coopérative d'Intérêt Collectif) pour permettre aux salariés et à la collectivité de reprendre l’entreprise. D’autres pistes de repreneurs ont été évoqué par des élus locaux, sans plus de succès.
Une attitude qui sème la confusion. « Leur stratégie est illisible. Il est évident qu’ils ne veulent pas garder le site, puisqu’ils comptent le fermer dans quelques mois, mais en même temps, ils refusent de le vendre ! », commente Jean-François Sarlat. Et ce, alors que le groupe est très endetté à l’international, sans capacité à honorer le remboursement. « Certes, la direction est cordiale et les discussions se font sereinement, mais elle refuse de nous dire quoi que ce soit, et on reste sur notre faim ! », se désole-t-il.
Les élus présents sur place (sénateurs, députés et maires des localités avoisinantes) ainsi que la CFE-CGC et les autres syndicats vont continuer de faire pression sur Lecta pour revendre l’entreprise et trouver des repreneurs. Dans le même temps, la délégation a rendez-vous à Bercy le 11 septembre pour tenter d’obtenir de l’aide de la part du gouvernement.
« Nous avons reçu le soutien de la région, de sénateurs, de députés et de maires, mais pas de représentant de l’État. Certes, le calendrier politique est très incertain pour le gouvernement, mais le temps presse. Nous ne voulons pas que cette histoire se finisse en procédure », estime Jean-François Sarlat.
Des salariés solidaires mais inquiets
Chez les salariés, l’ambiance est morose, « mais leur état d’esprit reste remarquable », confie Jean-François Sarlat. « Tous continuent de faire preuve de professionnalisme. Ils aiment leur travail et sont prêts à tout pour sauver l’entreprise, car elle fait vivre le bassin de Brive, de Périgueux et tous les artisans et commerçants locaux. Sa fermeture mettrait la région aux abois. »
De même, tous les syndicats font preuve de solidarité. Comme l'explique Jean-François Sarlat : « Ce serait dommageable de ne pas pouvoir s'entendre dans un tel contexte ! Nous ne sommes pas là pour faire de la politique, notre seul objectif est de sauver les emplois, pour nous, pour la région, et pour le département. » Avec l’espoir d’une issue favorable.
François Tassain