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Publié le 10 - 07 - 2023

    AT-MP : la CFE-CGC signataire d’un accord ambitieux

    Au terme d’un an de négociation, les organisations syndicales et patronales ont signé un accord national interprofessionnel sur la prévention, la réparation et la gouvernance de la branche accidents du travail-maladies professionnelles.  

    Une prévention ambitieuse, une réparation améliorée et une gouvernance paritaire renforcée : voici comment peut se résumer la portée de l’accord national interprofessionnel (ANI) majoritaire conclu entre partenaires sociaux le 16 mai dernier en faveur de la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) de la Sécurité sociale. Celle-ci gère les risques professionnels auxquels sont confrontés les travailleurs : accidents du travail, de trajet et maladies professionnelles. À ce titre, elle indemnise les victimes et fixe la contribution des entreprises au financement du système, et met en œuvre une politique de prévention des risques professionnels.

    Après consultation de ses instances le 27 juin, la CFE-CGC a signé ce nouvel ANI. « Fort d’un constat partagé par les organisations syndicales et patronales représentatives sur les améliorations à apporter à la branche, nous avons réussi à dépasser nos différences de point de vue autour du compromis social historique d’indemnisations des assurés pour trouver un accord sur un texte qui présente des avancés en matière de prévention, de réparation et de gouvernance », souligne Maxime Legrand, secrétaire national CFE-CGC en charge de l’organisation et de la santé au travail.

    Fruit d’une négociation qui a duré presque un an, conduite pour la CFE-CGC par Mireille Dispot, ancienne secrétaire nationale, l’accord concrétise plusieurs objectifs : prévenir les risques professionnels ; préserver la santé des salariés ; améliorer la reconnaissance et la déclaration des AT/MP ; assurer une juste réparation des sinistres résultant d’AT-MP ; améliorer les capacités de pilotage de la commission des AT-MP.

    Nous détaillons ci-dessous les principales dispositions de l’accord.

    POSITIONNER LA BRANCHE COMME UN ACTEUR DE LA PRÉVENTION

    • Développer la prévention primaire
    Dans un premier temps, l’ANI prévoit d’améliorer la connaissance des accidents graves et mortels avec des statistiques et des analyses détaillés sur les accidents mortels d’origine professionnelle : circonstances, secteurs d’activité, type de contrat de travail, disparités géographiques, évolution des indicateurs, etc. La CFE-CGC a refusé d’intégrer le caractère plurifactoriel des malaises en général et les accidents de trajets, qui remettrait en cause le compromis social de 1898. Elle a été entendue.

    Sur la base de ces données, le but est d’élaborer un plan d’action en cohérence avec le plan pour la prévention des accidents du travail graves et mortels présenté en mars 2022 par le gouvernement. À la demande de la CFE-CGC, les risques psychosociaux (RPS) ont été jugés prioritaires et placés sur la liste des risques sur lesquels la politique de prévention doit être enrichie. L’ANI prévoit une analyse spécifique en lien avec l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) sur plusieurs risques dont les RPS, un sujet majeur que porte la CFE-CGC depuis de nombreuses années. Des programmes nationaux seront définis dont un dédié à la prévention des RPS ainsi que ceux liés à l’organisation du travail, notamment à travers la promotion des démarches de qualité de vie et des conditions de travail (QVCT). La CFE-CGC a obtenu que les actions menées fassent l’objet d’un bilan annuel dans les comités techniques nationaux (CTN).

    Par ailleurs, l’ANI prévoit de renforcer les partenariats entre tous les acteurs de la branche AT/MP : les CTN, les services des CARSAT/CRAMIF/CGSS et les entreprises. Des conventions pourraient être conclues afin de mieux cibler les actions au plus près des entreprises.

    • Développer les actions en entreprise en faveur de la protection des salariés
    Afin de développer une culture de la prévention dans les entreprises, l’accord prévoit une augmentation des aides financières aux employeurs par la branche AT/MP. Sous l’impulsion de la CFE-CGC, ces aides, remises en question par un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), feront l’objet d’une évaluation quantitative et qualitative ainsi que d’un contrôle.

    À destination des TPE, l’ANI prévoit d’augmenter les subventions tout en s’assurant de leur adéquation avec les besoins exprimés par les salariés et leurs employeurs.

    • Développer la prévention de l’usure professionnelle
    Sur demande des organisations syndicales, les références à la loi sur les retraites et sur le futur FIPU (Fonds pour la prévention de l’usure professionnelle) ont été supprimées. Sur proposition de la CFE-CGC, l’ANI intègre la définition de l’usure professionnelle donnée par l’ANACT (Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail), permettant de ne pas limiter l’usure aux facteurs physiques ergonomiques mais de les élargir aux facteurs cognitifs et surtout psychiques.

    L’ANI prévoit aussi des actions spécifiques de prévention, notamment sur les risques liés à l’organisation du travail, en adéquation avec les attentes de la CFE-CGC. Plusieurs mesures sont prévues afin d’améliorer l’accès au C2P (compte professionnel de prévention) avec notamment des campagnes d’information auprès des entreprises et des salariés. Enfin, un point de contact auprès des CARSAT/CRAMIF/CGSS doit être mis en place afin de mieux coordonner les politiques de maintien et de retour à l’emploi des salariés en arrêt de travail ou en activité.

    AMÉLIORER LA RÉPARATION DES AT-MP

    • Attachement et sécurisation du compromis social
    L’indemnisation des victimes d’AT-MP est issue d’un compromis social de 1898 : les salariés victimes d’accident du travail peuvent demander réparation de leur préjudice, sans avoir à prouver de faute de l’employeur. En contrepartie, la réparation du préjudice est forfaitaire : la victime a droit à une rente forfaitaire en fonction d’un pourcentage de son salaire.

    Jusqu’à présent, la rente perçue par le salarié indemnisait les pertes de gains professionnels et le déficit fonctionnel permanent. Par arrêts du 20 janvier 2023, la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence. Dorénavant, elle considère que la rente ne répare pas le déficit fonctionnel permanent : ainsi, la victime pourra obtenir une réparation complémentaire de ses souffrances physiques et morales. Elle devra pour cela saisir la juridiction de la Sécurité sociale. Même si cette décision a été rendue dans le cadre d’une faute inexcusable, les partenaires sociaux craignaient que cette jurisprudence ait un impact sur le système d’indemnisation et appellent donc le législateur à prendre les mesures afin de garantir la nature duale de la rente AT/MP.

    • Des mesures pour rendre la réparation plus juste et équitable
    L’ANI prévoit d’améliorer le dispositif de reconnaissance des maladies professionnelles dont il existe deux types : celles figurant dans un tableau (la reconnaissance est plus rapide) et celles hors tableaux. Pour ces dernières, un C2RMP (Comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles) doit se prononcer sur la base d’éléments attestant que la victime a un taux d’incapacité permanente d’au moins 25 %.

    La CFE-CGC milite depuis des années pour la création de nouveaux tableaux de maladies professionnelles pour une meilleure reconnaissance des pathologies liées aux RPS ou un abaissement de taux à 10 %, qui n’a pas évolué depuis plus de vingt ans. De plus, il est très difficile de justifier de cette IPP pour faire reconnaitre des maladies professionnelles liées aux RPS. Une première avancée a été obtenue avec un abaissement du taux à 20 %. Les organisations syndicales ont ensuite obtenu la réalisation d’une étude de faisabilité d’opportunité d’un futur abaissement.

    En outre, l’ANI prévoit une rénovation des barèmes d’indemnisation, notamment grâce à la mise en place d’une « commission des garanties » visant à une meilleure cohérence d’application des règles pour déterminer le niveau des rentes versées.

    Une réflexion autour de la cohérence des dispositifs d’invalidité/incapacité est également prévue dans l’ANI, et sera menée par la branche AT/MP. Sur proposition de la CFE-CGC, le texte rappelle l’existence de dispositions du Code de la sécurité sociale qui permettent de porter la rente liée aux accidents du travail au niveau de la rente invalidité.

    Enfin, sur la prévoyance, les partenaires sociaux ont inséré une clause afin d’étudier, dans la cadre de l’article 4 de l’ANI sur le paritarisme, l’opportunité d’étendre la prévoyance complémentaire à tous les salariés.

    GOUVERNANCE DE LA BRANCHE : VERS UNE MEILLEURE AUTONOMIE

    Actuellement, la branche AT/MP se réunit au travers de la commission AT/MP, une commission de la CNAM. Ce schéma n’est pas cohérent au regard de la gouvernance des autres branches de la Sécurité sociale, qui disposent de leur propre conseil d’administration. La CFE-CGC a souhaité que la présidence de la branche AT/MP soit tournante, comme dans les autres caisses de Sécurité sociale. Le patronat a refusé cette demande. Toutefois, l’ensemble des partenaires sociaux sont unanimes pour faire évoluer la branche afin qu’elle acquière une véritable autonomie et l’ANI prévoit l’évolution de la CAT/MP en réel conseil d’administration.

    DE NOUVEAUX MOYENS ALLOUÉS À LA BRANCHE

    Dressant le constat de moyens insuffisants alloués à la branche AT-MP, l’accord stipule que la part des excédents et de réserves de la branche sera affectée au financement des orientations dans le domaine de la réparation et de la prévention. De plus, l’ANI prévoit d’augmenter à court terme (objectif : 20 %) les effectifs d’ingénieurs conseils et de contrôleurs de sécurité des CARSAT/CRAMIF/CGSS.

    Dans le contexte de renouvellement de la convention d'objectifs et de gestion (COG) de la branche AT-MP, les partenaires sociaux ont considéré nécessaire d’affecter 100 millions d’euros supplémentaires chaque année sur le volet prévention. Ces moyens seront prioritairement affectés à l’accroissement :
    - des moyens humains des CARSAT/CRAMIF/CGSS ;
    - des moyens nécessaires aux missions de l’INRS et d’EUROGIP ;
    - des aides financières aux entreprises pour aller au-delà des 2 % d’entreprises suivies actuellement.

    De la même façon que pour l’accord national interprofessionnel sur le partage de la valeur signé entre partenaires sociaux, qui vient de faire l’objet d’une loi adoptée au Parlement, l’ANI sur la branche AT-MP doit désormais être prochainement retranscrit au niveau législatif.

    L’ANALYSE DE MAXIME LEGRAND, SECRÉTAIRE NATIONAL CFE-CCG EN CHARGE DU SECTEUR ORGANISATION DU TRAVAIL ET SANTÉ AU TRAVAIL
     
    « La santé - physique et psychique - est notre capital le plus précieux. C’est pourquoi la prévention doit être une priorité. Lorsqu’un accident arrive, il faut qu’il puisse être réparé, que la victime puisse se reconstruire et envisager un futur professionnel et/ou personnel. Quant à la gouvernance, cela doit nous permettre d’assumer nos responsabilités en tant que partenaires sociaux. En ce sens, l’intervention du gouvernement via le FIPU (Fonds pour la prévention de l’usure professionnelle) est inappropriée.

    Tout ceci est d’autant plus important que les ordonnances Macron ont limité la capacité des représentants du personnel à se former et à travailler certains sujets liés à la santé. Dans le même temps, les organisations du travail se transformaient fortement, apportant certes des éléments positifs, mais pesant aussi fortement sur tous les salariés et les cadres en particulier, hyper-sollicités et sur-connectés.

    Cet ANI n’est qu’un des éléments de réponses aux enjeux autour de la santé au travail. Il doit trouver sa transcription législative et s’inscrire dans un tout cohérant : plan santé au travail, convention d’objectifs et de gestion (COG), services de santé au travail, négociations entre partenaires sociaux au niveau sectoriel ou dans chaque entreprise. La CFE-CGC y veillera.

    Quant à la responsabilité de nos dirigeants politiques, il est évident qu’il nous faut plus de médecins et d’infirmiers en France, une médecine dotée de plus de moyens et tournée vers l’objectif d’une population en meilleure santé, plus longtemps. À l’heure où la transition climatique nous oblige à consommer moins et à prendre soin de ce que nous avons, il serait sage d’appliquer ces principes à l’humain et sa santé. »

    Lucie Oneto et Mathieu Bahuet