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Publié le 14 - 04 - 2020

    Les lanceurs d’alerte en première ligne

    Avec le décès tragique d’un médecin chinois lanceur d’alerte sur le Coronavirus, la question de ceux qui tirent la sonnette d’alarme revient sur le devant de la scène. Sont-ils suffisamment protégés ?

    LES LANCEURS D’ALERTE PAYENT DE LEUR PERSONNE

    Irène Frachon (Mediator) : attaquée par Servier ; Stéphanie Gibaud (fraude fiscale UBS) : professionnellement déclassée ; Edouard Snowden (espionnage NSA) : exilé en Russie ; Julian Assange (fondateur du site d’information Wikileaks) : accusé d’espionnage par les Etats-Unis… Aucun lanceur d’alerte ne sort indemne de ses actes, même si certains reçoivent des dédommagements. Sans compter que la délation est parfois mal vue par l’opinion publique, même quand la cause semble juste. Traîtres pour certains, héros pour d’autres : les lanceurs d’alerte font régulièrement l’objet de débats controversés. 

    L’ARSENAL LÉGISLATIF ÉVOLUE FAVORABLEMENT

    Pour mieux protéger les lanceurs d'alerte, l'Union européenne a adopté, le 7 octobre 2019, de nouvelles règles en faveur de ceux et celles qui dénoncent des actes répréhensibles constatés dans le cadre de leur travail et susceptibles de porter atteinte à l'intérêt public : dommages à l'environnement, à la santé publique, à la sécurité des consommateurs, aux finances publiques... Objectif : garantir un niveau élevé de protection dans divers secteurs (marchés publics, blanchiment de capitaux, sécurité des produits et des transports, sûreté nucléaire, santé publique, protection des données…). Ces nouvelles règles doivent offrir des garanties aux lanceurs d'alerte contre les représailles et exigeront la création de canaux sûrs de signalements au sein des organisations privées ou publiques, et auprès des autorités publiques.

    En France, la loi dite « Sapin 2 » du 9 décembre 2016 a créé un régime général pour la protection des lanceurs d’alerte et la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) a publié un référentiel. Globalement, la prise de conscience augmente et se traduit dans les textes. A contrario, la loi visant à protéger le « secret des affaires », votée en juin 2018 par le Parlement, apparaît comme une menace pour les libertés. Elle avait été dénoncée dans ces colonnes, en septembre 2018, par Christophe Lefèvre, alors secrétaire national CFE-CGC Europe et international. Dans une tribune, Irène Frachon a quant à elle déclaré que cette loi l’aurait « muselée » si elle avait été en vigueur à l’époque du Mediator.
     

    LES SYNDICALISTES SONT LES PREMIERS LANCEURS D’ALERTE

    Le procès France Telecom, en décembre dernier, a rappelé que la CFE-CGC, avec Sud, a été la première à lancer l’alerte sur les pratiques managériales de l’opérateur téléphonique. Chaque jour, dans des milliers d’entreprises, les élus anticipent, préviennent, déminent des situations potentiellement dangereuses pour la santé physique ou psychologique des salariés. « Dans cette logique de transparence, de prévention, de protection des collaborateurs, les syndicats jouent le rôle depuis longtemps de lanceurs d’alertes », souligne José Alberto Rodríguez Ruiz, Data Protection Officer de l’éditeur de logiciels Cornerstone.

    PLUSIEURS FIGURES EMBLÉMATIQUES

    • Li Wenliang, le héros en blouse blanche


    Le 30 décembre 2019, sur l’application WeChat, ce médecin chinois a été le premier à alerter ses collègues médecins de la dangerosité du Coronavirus, leur recommandant de se protéger avec masques et combinaisons et prônant des « mises en quarantaine d’urgence ». Trois jours plus tard, il était accusé de propager des « rumeurs » et obligé de faire acte de contrition par la police de Wuhan. Contaminé en soignant des patients atteints du Coronavirus, le Dr. Li Wenliang est décédé le 7 février 2020.

    • Irène Frachon, la pneumologue qui a fait vaciller Servier


    Née en 1963, le Docteur Irène Frachon arrive à l’hôpital de Brest en 2007. Intriguée par le mauvais état de valves cardiaques de malades opérés, elle établit un lien de causalité entre la prise du Mediator, un médicament coupe-faim des Laboratoires Servier, prescrit à plus de 5 millions de patients depuis 1976, et la dégradation de ces valves. Après avoir révélé le scandale, elle sera en butte pendant dix ans aux contre-attaques juridiques et médiatiques de Servier. Soupçonné d’avoir causé plusieurs centaines de morts, le Mediator a été interdit par l'Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé (AFSSAPS) le 30 novembre 2009.

    • Edward Snowden, l’anti-espion parti vers le froid


    Né en 1983, l’Américain Edward Joseph Snowden travaillait pour la National Security Agency (NSA) en 2013. Ayant découvert que cette entité pilotait des programmes massifs d’espionnage des citoyens et gouvernements européens, il a fait fuiter, depuis Hong-Kong, plusieurs milliers de documents classifiés de la NSA auprès de la presse. Accusé d’espionnage par le gouvernement américain, il s’est réfugié à Moscou en 2013.

    • Stéphanie Gibaud, la banquière qui a fait preuve de civisme


    Dans la foulée de Bradley Birkenfeld, banquier américain qui a mis à jour, en 2007, les pratiques fiscales frauduleuses d’UBS aux Etats-Unis et qui fut condamné à 31 mois de pénitencier fédéral avant d’être indemnisé à hauteur de 104 millions de dollars, Stéphanie Gibaud incarne le volet français de l’affaire UBS. Cette cadre supérieure refusa en juin 2008 la demande de sa hiérarchie parisienne de détruire ses listes de clients et chargés d’affaires. Elle fut considérée comme lanceuse d’alerte après avoir dénoncé les opérations d’évasion fiscale de son employeur à l’Inspection du travail puis porté plainte contre UBS fin 2009. En mars 2015, le tribunal des prudhommes de Paris a condamné la banque à 30 000 euros d’amende pour harcèlement sur son ex-cadre.

    • Rui Pinto, le révélateur des turpitudes du football


    Arrêté à Budapest en janvier 2019, Rui Pinto est un hacker portugais de 31 ans qui a transmis en 2016 au journal allemand Der Spiegel 10 téraoctets de données informatiques sur les coulisses financières du ballon rond - les Football Leaks - ce qui a conduit à l'ouverture de procédures judiciaires dans plusieurs pays européens. Rui Pinto est en détention provisoire au Portugal où il attend d'être jugé pour tentative d'extorsion et délits informatiques en lien avec ses révélations.

    Gilles Lockhart