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Publié le 11 - 05 - 2020

    Changer rapidement le logiciel de pilotage des grandes entreprises

    Par Gérard Mardiné, secrétaire général de la CFE-CGC.

    Les mesures d’urgence prises par le Gouvernement dès la mi-mars ont permis de soutenir la trésorerie des entreprises et d’éviter un grand nombre de licenciements immédiats en indemnisant l’activité partielle. Après l’urgence et face à la perspective d’une baisse d’activité significative et durable de nombreux pans de notre économie, il convient de définir rapidement les méthodes et moyens de piloter au mieux le retour à une situation normale.

    La transition écologique demeure plus que jamais d’actualité et la crise sanitaire actuelle démontre la nécessité de relocaliser des activités vitales. Ajouté au financement de la recherche indispensable pour rester dans la course technologique et médicale, les besoins d’investissements vont demeurer très élevés. Ne pas les financer pénaliserait fortement le redressement de notre économie, le maintien de compétences clés et l’avenir des générations futures.

    Le pilotage stratégique des grandes entreprises est aujourd’hui principalement guidé par l’atteinte d’un résultat financier : cette pratique est complétement dépassée dans la situation de crise exceptionnelle que nous vivons.

    Face à la potentialité d’une crise longue et pour tenter de préserver un résultat financier 2020 positif en dépit d’une conjoncture très dégradée et d’une productivité moindre en ce temps de confinement et d’activité partielle, les vieux réflexes de mise en place de "plans d’économies" surdimensionnés resurgissent déjà dans l’esprit de nombreux dirigeants d’entreprises. Les composantes principales de ces plans sont bien connues :

    • La baisse de la masse salariale et donc des plans de licenciements à venir que les directions s’emploieront à justifier par des scénarios économiques noircis à dessein et par l’anticipation d’une moindre indemnisation du chômage partiel
    • Une réduction coupable des investissements de préparation de l’avenir,
    • Une pression toujours plus forte sur les fournisseurs,
    • Des coupes drastiques au-delà du raisonnable dans les frais généraux qui viennent dégrader les conditions de travail.
       

    Il en résulte toujours des dommages et des pertes de compétences qui pénaliseront forcément le rebond économique. Il est intéressant de comprendre les vraies raisons jamais affichées ouvertement de ces comportements. Il s’agit principalement de soutenir le cours de bourse des actions de la société en communiquant sur des mesures d’économie et donc sur la perspective d’une rémunération des actionnaires qu’elles permettraient. Cette pratique vise également à soutenir la valorisation boursière de l’entreprise pour éviter de devenir une proie trop facile au monopoly des OPA hostiles et au contraire se positionner comme un acquéreur possible pouvant valoriser un cours de bourse supérieur dans une Opération par échange d’actions (OPE). Les liquidités étant asséchées et les capacités d’emprunt étant déjà saturées par le financement des activités courantes, il est probable que les OPE seraient le mode d’opération privilégié à court-moyen terme. De telles opérations de fusion/acquisition conduites dans la situation de tempête actuelle répondraient davantage à une logique opportuniste de concentration qu’à un rationnel stratégique de long terme, elles sont donc à proscrire.

    Le véritable enjeu actuel des directions d’entreprise doit être de définir et mettre en œuvre une stratégie d’adaptation

    Une entreprise n’est pas en péril parce que son résultat financier est négatif une année, elle ne fait faillite que quand elle ne dispose plus des fonds suffisants pour honorer ses échéances et ses dettes. La priorité des directions d’entreprises, responsables de leur pérennité, doit donc d’abord être de sécuriser leur trésorerie (en ayant recours si nécessaire aux mesures gouvernementales) pour garantir sur le moyen terme le financement des activités et assurer leur avenir en développant les compétences humaines et en investissant, notamment dans la recherche et de futurs produits pour les entreprises industrielles : L’objectif de résultat financier de l’exercice 2020 ne doit être qu’accessoire et le respect de ‘ratios d’endettement standard’ ne sera plus pertinent pour quelques années.

    Une telle stratégie d’adaptation passera souvent par l’identification de secteurs d’activité porteurs d’avenir dans lesquels les compétences des salariés peuvent être valorisées, là où la pratique courante est généralement de rester concentré sur son périmètre d’activité de ‘pure player’, répondant en cela aux desiderata quand ce n’est pas aux injonctions de nombreux acteurs financiers dont les objectifs sont bien éloignés de telles inflexions de long terme. La transition écologique ouvre en particulier de nombreuses opportunités qu’il convient de ne pas laisser passer comme la fabrication d’éléments de respirateurs artificiels dans des usines de l’industrie automobile montre que la diversification d’activités n’est pas qu’un concept abstrait.

    Les entreprises doivent davantage travailler à des logiques de développement basées sur des nouveaux besoins de produits et services et sur la valorisation des compétences de leurs collaborateurs plus que sur la seule gestion financière de leur ‘core business’. Nos dirigeants d’entreprises et les Conseils d’administration doivent être plus visionnaires et stratèges que simplement gestionnaires. Espérons qu’ils en soient capables, qu’ils en aient la volonté et qu’ils y soient prêts ! La tribune « Mettons l’environnement au cœur de la reprise économique » signée par plus de quatre-vingt-dix dirigeants d’entreprises françaises et internationales et publiée le 3 mai dernier par « Le Monde » appelle à une mobilisation collective pour faire de la relance économique un accélérateur de la transition écologique. C’est une initiative encourageante qu’il faut espérer sincère et à laquelle de nombreux autres dirigeants devraient se joindre. Il doit en résulter des décisions concrètes rapidement.

    Les représentants CFE-CGC ont toutes les compétences et sont prêts à débattre de ces sujets structurants pour préserver l’avenir des filières économiques et des entreprises de notre pays mais à la condition que le dialogue soit loyal et respectueux tant au sein des instances de gouvernance (administrateurs salariés et actionnaires salariés) que des institutions représentatives du personnel et des négociations d’entreprise.

    L’Etat doit aussi jouer pleinement son rôle d’assistance et de régulateur

    Le gouvernement, au-delà de son appel à mobiliser le dialogue social, doit poursuivre les mesures de financement du chômage partiel et de soutien à la trésorerie des entreprises sur une période étendue permettant de faire la jointure avec les effets d'un plan de relance annoncé pour l'automne mais dont les effets ne se feront probablement pas sentir avant début 2021. Il doit conditionner les aides et garanties de l’Etat aux entreprises à des contreparties claires en termes de préservation de compétences et d’emploi, d’investissements d’avenir et plus globalement d’un réel engagement de responsabilité via une gouvernance soucieuse du long terme.

    La CFE-CGC demande, de même que l’arbitre interrompt le match quand des trombes d’eau rendent le terrain de jeu injouable, que le gouvernement impose pendant la durée de la crise un moratoire sur les opérations de rachat d’entreprises afin de prévenir les comportements de court terme pénalisant pour l’avenir évoqués ci-dessus et des acquisitions opportunistes d’entreprises qui se feraient au détriment de nos intérêts comme en témoignent de trop nombreux cas récents.

    Dans la même logique de prévention des comportements de court terme, la CFE-CGC propose de "neutraliser" l’année comptable 2020 et de considérer un exercice fusionnant 2020 et 2021 afin de lisser les effets financiers de la crise et d’éviter le stress associé au bouclage d’un exercice comptable 2020 extrêmement perturbé.

    La préservation des emplois et des compétences et la préparation du rebond économique doivent être la priorité de l’année 2020, la stabilité à long terme de notre édifice national et de notre cohésion sociale sont en jeu !